Il y a deux ans, nous avons eu la joie d'accueillir Sophie Chérer à l'école, dans le cadre des AIR (qui se sont désormais détournés du primaire pour s'orienter vers le collège... Sniff...) Un des intérêts d'une classe de cycle, enfin... de CE2-CM1-CM2 est l'inscription dans le temps, si bien qu'une partie des élèves toujours présents ont vécu cet événement, ceux venus l'année suivante se sont réjouis de découvrir le nouveau roman "Mathilde fait un tabac", et ceux arrivés cette année bénéficient des souvenirs mêlés de ces deux expériences (sans compter les ouvrages de Sophie Chérer, toujours disponibles dans la classe).

Voici que sort, ces jours-ci, un essai de l'auteure, illustré (excusez du peu) par Philippe Dumas. J'ai eu le plaisir d'en recevoir un exemplaire dédicacé. :o)


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- De quoi s'agit-il ?
- Des mots.
- Des mots ?
- Oui, des mots.
- Mais, 276 pages sur les mots, n'est-ce pas un peu beaucoup (Jean-Paul Sartre lui-même n'a tiré que 210 pages sur le sujet, et encore, en parlant de son enfance au milieu) ?
- Certainement pas. Tout d'abord il y a les illustrations de Philippe Dumas, qui donnent de belles couleurs aux-dits mots, et puis, des mots, il y en a beaucoup.
- Sont-ce des mots compliqués ?
- Il y a bien "épitrochasme" ou "homéotéleute" (p.186), mais la quasi-totalité des mots évoqués font partie de notre vocabulaire courant.
- Si ce sont des mots de tous les jours, nous les connaissons déjà. Alors à quoi bon lire un livre dessus ?
- Eh bien, justement, parce que ces mots ont une histoire, et que celle-ci les dote d'un sens et d'une valeur que nous méconnaissons bien souvent. Nous prenons pour synonymes des termes qui n'en sont pas.
- Auriez-vous des exemples en tête ?
- De nombreux... J'imagine que, pour vous, une condamnation "symbolique" n'a que peu de poids...
- Effectivement...
- Qu'avoir un emploi ou un métier, c'est peu ou prou la même chose.
- Ce n'est pas faux...
- Qu'un supérieur hiérarchique a finalement le droit de vous pourrir la vie...
- Malheureusement, n'est-ce pas quelque part sa fonction ?
- Je ne saurais vous conseiller qu'une chose : précipitez-vous sur "Renommer", délectez-vous des sept grands thèmes qui le composent (nature, noms propres, sentiments, économie, société...), prenez le temps de le lire comme on a pris du temps pour l'écrire : lentement. Amoureusement. Énergiquement. Vous en éprouverez le besoin de reprendre en main votre vocabulaire. Vous ne verrez plus la langue de bois des politiques du même œil. Vous adorerez les citations qui introduisent chaque chapitre. Vous vous passionnerez pour l'étymologie. Et, surtout... surtout...
- Surtout quoi ?
- Vous parviendrez peut-être à échapper à la mellonalgie.
- La quoi ?
- La mellonalgie.
- Qu'est-ce donc que cela ?
- Lisez l'ouvrage, vous dis-je.
- Je m'en fous, j'ai mon smartphone et "GIYF"... Ah ben non... Je ne trouve rien. Je peux commander l'ouvrage sur Amazon ?
- Si vous voulez vraiment faire plaisir à l'auteure, passez plutôt un coup de fil au libraire de votre quartier. Ces mots-là, ils faut les choyer, pas les faire naviguer entre deux prospectus...

Quelques morceaux choisis :

"Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde (Albert Camus)" (p.22)

"À la Renaissance, du XIVe au XVIIe siècle, croître et végéter signifiaient à peu près la même chose." (p.45)

"Si l'on en croit l’étymologie, il est difficile d'être content tout seul. [...] Et il est plus impossible encore de rester désolés à plusieurs." (p.96-97)

"Dans le temps, même le futur était mieux. (Karl Valentin)" (p.104 sur la mellonalgie)

"Si vous voulez accomplir un geste symbolique, ne brûlez pas le drapeau, lavez-le. (Norman Thomas)" (p.113)

"Dans l'Antiquité, le symbole désignait quelque chose de très concret, un objet coupé en deux, un jour, par deux amis, pour être partagé. Un morceau de bois dont les descendants respectifs et successifs des deux familles se transmettaient chaque moitié, pour marquer leur alliance ancestrale. Quand deux de leurs membres se retrouvaient au même endroit, au même moment, ils joignaient les deux bouts et le symbole pouvait reprendre sa forme initiale, son intégrité, sa force. [...] Les gestes et les actions authentiquement symboliques ne divisent pas, ils unissent. Ils ne séparent pas, ils réconcilient. Ils n'accumulent pas de barrières ni de murs, ni de barbelés, ils trouvent un terrain d'entente. Ils frappent les esprits, jamais les corps. Si la somme d'argent infligée à titre de peine par le tribunal est dite "symbolique", ce n'est pas en raison de sa modicité, c'est parce que les juges considèrent qu'elle va suffire à faire renouer le coupable avec sa victime, ou, encore mieux, avec la société tout entière." (p.113-117)

"Un sacrifice digne de ce nom engage l'être entier, corps et âme, corps et biens. Il ne saurait être imposé de l'extérieur. Sa décision est une adhésion, un élan qui ne peut surgir que du fond de la conscience." (p.151)

"Il vit une bête munie de tentacules cracher de l'encre, ce qui lui fit penser à son écritoire, en latin le
calamarius, et à ses calames, les roseaux à écrire qui crachotaient parfois de l'encre et faisaient des taches partout, aussi appela-t-il l'animal calamar." (p.157)

"École : du grec
skhole, arrêt, relâche, trêve, repos, loisir, temps libre. [...] Vous pensiez que l'école des loisirs, le nom de l'éditeur de ce livre, était un oxymore ? Eh bien non, c'est un pléonasme. Et c'est l'expression "école de commerce" qui constitue un parfait oxymore." (p. 195-196 negotium : non-loisir, négation du temps libre, donc occupation, affaire)

"Frappes chirurgicales : celle-là est particulièrement odieuse. Inventée par l'armée américaine dans le but de nous faire croire que les bombardements de civils peuvent être propres, précis, silencieux et sans douleur, comme sous anesthésie. Sans une goutte de sang qui coule, peut-être aussi, tant qu'on y est ? Et puis, soyons fous, elles iraient jusqu'à guérir, ces attaques. Voilà un abus de langage qui mérite une bonne frappe chirurgicale (du grec
cheiros, la main), la seule qui vaille : une paire de claques." (p.228)

"A.V.I.O.N. : Appareil Volant Imitant l'Oiseau Naturel" (p.241 véritable acronyme inventé par Clément Ader)

"Les ordinateurs sont inutiles : ils ne donnent que les réponses (Pablo Picasso)" (p.244)