Il s'est fait attendre, ce "Mourlevat 2015"... (notez ces points de suspension : ce seront les seuls du billet). Ce n'est pas la réédition de trois histoires pour enfants en 2014 qui aurait pu nous faire oublier que les nouvelles de "Silhouette" ou la courte biographie de Sophie Scholl datent de 2013. Et qu'auparavant, "Terrienne" était paru en 2011. Ce n'est d'ailleurs pas "un" Mourlevat pur jus, puisque l'écrivain stéphanois s'est associé pour l'occasion à Anne-Laure Bondoux, et que cela donne un bel échange épistolaire qui nous tient en haleine tout au long des 280 pages du roman : Et je danse, aussi.

Et je danse, aussi
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Un célèbre auteur, Pierre-Marie Sotto, reçoit un jour dans sa boîte aux lettres une enveloppe, contenant visiblement un document épais. Se doutant qu'il s'agit-là d'un énième manuscrit sur lequel un écrivain en herbe lui demande son avis, et que cela le fatigue d'avance, il se refuse à l'ouvrir et envoie un mail à l'adresse inscrite au verso. Démarre ainsi une correspondance avec Adeline Parmelan, qui nous emmène à la rencontre de deux solitudes... (ah non, zut, j'ai dit "plus de points de suspension !) Personnages et lecteur iront ainsi bien plus loin qu'ils ne l'auraient imaginé de prime abord. La taille réduite des courriels (8 pages maxi) rend l'ensemble dynamique et très facile à reprendre lorsqu'on doit en quitter la lecture. L'ouvrage (pour adultes) se dévore en quelques heures... (argh, tant pis pour les points de suspension !) y compris dans le métro, où la difficulté de contenir certains rires à la découverte d'un certain courriel a dû amener quelques voyageurs à s'inquiéter de ma santé mentale. Un petit clin d'oeil aux numéros de téléphone, magistralement intégrés... Retrouvez une présentation des autres romans de Jean-Claude Mourlevat sur cette page dédiée du site.

En résumé, il n'y a qu'un souci : ça coûte cher en Post-it... (et-toc, re-points !)

Et je danse, aussi

Quelques morceaux choisis (parmi beaucoup), qui ne révèlent pas d'élément déterminant de l'intrigue :

"J'ai la conviction qu'on croise au quotidien ou presque des Proust, des Kafka, des Faulkner qui ne le savent pas et qui restent agents immobiliers, professeurs de judo ou moniteurs d'école. J'exagère à peine. À l'inverse, je connais pas mal d'écrivains qui sont les seuls à penser qu'ils le sont, mais c'est un autre sujet." (p.21)

"Dieu soit loué, vous y recourez peu, aux points de suspension, et c'est tant mieux. Je ne les aime pas, et d'ailleurs je vous mets au défi d'en trouver plus d'une quinzaine d'exemplaires dans tous mes livres. Ceux qui les utilisent me rappellent les types qui font mine de vouloir se battre, qui vous forcent à les retenir par la manche et qui vocifèrent : retenez-moi ou je lui pète la gueule à ce connard ! En réalité, ils seraient bien embêtés qu'on les laisse aller au combat. De même, ces obsédés des points de suspension semblent vous dire : ah, si on me laissait faire, vous verriez quelle superbe description je vous brosserais là, et ce dialogue percutant, et cette analyse brillante. J'ai tout ça au bout des doigts, mais bon je me retiens. Pour cette fois ! On a envie de leur suggérer à l'oreille : laissez-vous donc aller, mon vieux, ne muselez plus ainsi ce génie que l'on devine en vous et qui ne demande qu'à nous exploser à la gueule. Lâchez-vous et le monde de la littérature en sera sous le choc, je vous le garantis." (p.28-29)

"Une raison de trouver que la vie est belle, c'est de pouvoir un matin annoncer à celui, celle ou ceux qui en sont pas encore debout, ou à soi-même si l'on est seul, cette nouvelle en trois mots : il a neigé." (p.50)

"Comment fais-je pour être l'ami d'un type dont la dernière lecture est sans doute le code de la route ?" (p.82)

"Je méprise les points de suspension, mais j'abuse des parenthèses, chacun son vice, mais reconnaissez avec moi que les parenthèses nous offrent quelque chose en plus tandis que les points de suspension nous en privent." (p.85)

"J'éprouvais [en regardant cette pièce de théâtre] le même sentiment que lorsque je dois manger végétarien : pourquoi m'inflige-t-on ça ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? pourquoi suis-je puni ?" (p.93)

"Parle-moi... Parce que si tu te tais, c'est moi qui vais parler, poussée par le silence, et ce que je te dirai renversera les murs et la maison tout entière." (p.108)

"« Ce que tu as enterré dans ton jardin ressortira dans le jardin de ton fils. »" (p.193)

"Je veux bien jouer à 1, 2, 3... soleil ! avec vous. Je compterai même si lentement et je me retournerai si lentement que vous aurez le temps de vous rapprocher sans que je vous surprenne." (p.205)

"Je me rappelle cette soirée chez nous où tu as cloué le bec à ce collègue écrivain plutôt bavard et pédant en lui rappelant qu'un cheval pouvait être caparaçonné et non pas carapaçonné. Il l'a fermée pendant plus de trente secondes et c'était bon !" (p.212)

"J'ai remplacé le footing par le fooding, et j'ai repris kilo après kilo." (p.222)

"Nous ne sommes pas les héros de notre propre histoire." (p.226)

"Il n'y a pas de hasard, mais des occasions." (p.231)

"Le mieux, à mon avis, c'est de ne plus en parler pendant quelques années, jusqu'à ce qu'on soit capables d'en rire." (p.246)

"J'irai donc, je me lèverai et m'assoirai docilement avec tout le monde, dans l'église. J’irai même jusqu'à esquisser un signe de croix. Si le prêtre est bon." (p.262)