Le numéro de novembre dernier de l'abonnement Médium de L'école des loisirs consistait en ce beau roman de Marie-Aude Murail, auquel j'ai enfin pu me consacrer. Loin de ce que titre pourrait laisser craindre, nous avons là une belle histoire d'amitié et d'amour qui amène trois adolescents, Chloé, Bastien et Neville, à découvrir puis se prendre de passion pour le théâtre, sous la direction de Jeanson, leur professeur. De nombreuses citations, et quelques belles perles qui font éclater de rire rendent le tout particulièrement plaisant. On notera une bizarrerie dans la narration, qui alterne entre omniscience et première personne du pluriel.

3000 façons de dire je t'aime

Morceaux choisis :

"Elle en arriva un jour à citer le ténébreux psychanalyste Jacques Lacan :
- L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.
- Eh bien, c'est gai, conclut Chloé." (p.27)

"Chloé, qui avait rêvé de faire pleurer ses parents en mourant sur scène, fut complimentée pour son talent comique par le jury du baccalauréat. Madame Gillain avait donc raison, la vie est un malentendu." (p. 28)

"Affalés dans un canapé, ses parents regardaient Jacques Villeret se démener au beau milieu du Dîner de cons. La tristesse saisit Bastien à la gorge sans crier gare. Il la délogea en secouant la tête et partit s'enfermer dans sa chambre. Il ferait rire. C'était sa vocation. Il ferait rire les gens fatigués qui s'affaissent le soir devant leur télé, la zapette à la main." (p.48)

"Il ne comprenait pas d'où lui venaient ces émotions. Étaient-elles contenues dans les mots couchés sur le papier ? Ou bien avait-il dans son cœur un réservoir de haine et de souffrance, quelque chose d'effrayant comme une envie de tuer ?" (p.62)

"– Je ne suis pas là pour vous tourmenter [leur dit leur professeur de théâtre] Enfin... si, un peu. Il faut bien que j'aille vous chercher où vous êtes. Les escargots, on les sorts avec une pique." (p.69)

"Neville jouait son rôle en restant sur place, semblable aux acteurs d'autrefois qui faisaient le sémaphore face au public, la main au front pour exprimer le désespoir, au cœur pour dire j'aime et au loin pour dire adieu." (p.115-116)

"- Il est amoureux de qui, Chérubin ? voulut savoir Clélia. De Suzanne ou de Fanchette ?
- Des deux, répondit Neville. Et de sa marraine, la belle comtesse.
- Mais on ne peut pas être amoureux de trois personnes à la fois ?
- Si. C'est la puberté.
- Ah ? fit Clélia, décidément intéressée." (p. 118)

"- Il faut que tu apprennes ton rôle.
- Je commence à le savoir, éluda Bastien.
Personne, pas plus Neville que Jeanson, ne le contraindrait à travailler. Ou ce serait l'effondrement de sa personnalité." (p.120)

"Nous étions pris de la même fatigue, nous nous sentions bien, la tête toute sonore de ces phrases que nous venions de dire et qui ne nous appartenaient pas." (p.134)

"Le monsieur de Bellac : Dites-leur qu'ils sont beaux.
Agnès : Leur dire qu'ils sont beaux, intelligents, sensibles ?
Le monsieur de Bellac : Non ! Qu'ils sont beaux.
C'était le secret. Dire aux hommes, à tous les hommes, y compris les laids, les bancals, les pustuleux, les huissiers, qu'ils sont beaux.
Agnès : Ils ne le croiront pas.
Le monsieur de Bellac : Tous le croiront. Ils le croient d'avance." (p.155 - extrait de L'Apollon de Bellac de Jean Giraudoux)

"Le lendemain, Bastien, qui avait à se faire pardonner, obtint l'adresse de Jeanson en usant de ses charmes auprès de la concierge du conservatoire.
- Et j'ai du mérite. J'aime pas trop la moustache chez une femme." (p.172)

"Mais tu n'es pas ton spectateur ! Tu dois t'observer de l'intérieur, pas de l'extérieur. Autrement, tu vas devenir comme ces acteurs qui font les mêmes gestes au même endroit à la même heure, qui gargouillent "arg" avant de mourir et se couvrent les yeux de la main pour indiquer qu'ils sont en train de pleurer. (p.179)

"– Ils sont partis. Je suis libre !
– Libre ? fit Neville en écho. On est toujours libre aux dépens de quelqu'un. C'est ennuyeux, mais c'est normal.
– C'est dans Caligula, expliqua Bastien à Chloé. Nous parlons le Caligula à longueur de journée." (p.200-201)

"Tu ne dois pas chercher en toi le texte, mais uniquement le sentiment qui te pousse à le dire. Que les mots te montent aux lèvres parce que tu ne peux plus les retenir." (p.209)

Si ça ne donne pas envie de se replonger dans ses classiques, tout ça... ;o) L'auteure, qui en est consciente, a gentiment regroupé les références en fin d'ouvrage.