Une amie m'a offert récemment "Petit Arbre", de Forrest Carter. Une bien belle histoire, estampillée "collège" par l'éditeur (je ne me vois pas expliquer certains passages en classe)... Petit Arbre, jeune Cherokee élevé par ses grands-parents dans les montagnes du Tennessee, découvre la Nature et une certaine philosophie de vie. La candeur du jeune narrateur (qui n'est pas sans rappeler, de loin, celle du petit Nicolas) en fait un récit émouvant et plein de fraîcheur. En cherchant à en savoir plus sur l'auteur (qui a écrit sous un pseudonyme), on découvre cependant avec stupeur qu'il fut un temps membre du Ku Klux Klan. Difficile à concevoir tant l'ouvrage regorge d'humanité et de finesse. C'est sans doute l'effet Clint Eastwood... On peut être un Républicain réac capable de tenir un discours à une chaise vide et réaliser Gran Torino.


Quelques morceaux choisis (non représentatifs de l'ouvrage, agréablement traduit par Jean-Marie Léger) :

"Une fois descendus sur le bord de la route, Grand-père a retiré son chapeau pour remercier le professeur, mais on avait à peine posé le pied à terre qu'il redémarrait à toute vitesse en soulevant un nuage de poussière. Grand-père a dit que pour ce qui était des bonnes manières, il ne fallait pas s'attendre à autre chose de la part de gens comme ça. Il a avoué que le professeur s'était conduit bizarrement et il m'a dit que c'était peut-être un politicien essayant de se faire passer pour un professeur. D'après lui, des tas de politiciens se mêlaient aux honnêtes gens en faisant semblant de ne pas être des politiciens. Mais, a dit Grand-père, c'était peut-être un professeur quand même, vu que d'après ce que Grand-père avait entendu dire, il ne manquait pas de cinglés dans ce métier-là." (p.37-38)

"Quand on voulait que le vieux Sam [leur mulet] tourne à gauche, on disait "Dia !" et quand on voulait qu'il tourne à droite, on disait "Hue !" Quand le vieux Sam partait un peu trop à gauche, je hurlais "Hue !" mais, comme il était dur d'oreille, il continuait à s'écarter à gauche. Grand-père s'y mettait à son tour : "Hue ! Hue ! HUE ! SACRÉ NOM DE DIEU ! HUE !" et le vieux Sam revenait à droite. L'ennui, c'est que Sam avait tellement entendu ça qu'il avait confondu les "hues !" et les jurons et qu'il ne tournait pas à droite avant d'avoir tout entendu. Il s'était naturellement mis en tête que, pour tourner à droite, il fallait recevoir l'ordre en entier, juron et tout. Le résultat, c'est qu'on jurait pas mal et que j'avais dû m'y mettre pour pouvoir labourer. Ça a été très bien jusqu'au jour où Grand-mère m'a entendu et qu'elle en a touché quelques mots bien sentis à Grand-père. Après ça, j'ai plus beaucoup labouré quand Grand-mère était à portée de voix." (p.88)

"Tu vois, petit Arbre, le seul moyen de t'apprendre quelque chose, c'est de te laisser faire à ton idée. Si je t'avais empêché d'acheter ce veau, tu l'aurais regretté toute ta vie. Si je t'avais encouragé à le faire, tu m'aurais reproché sa mort. Il faudra que tu apprennes tout seul au fur et à mesure." (p.149)

"[Grand-père] disait que le fils de putain de touche-à-tout qui avait inventé le dictionnaire méritait d'être traîné dehors et abattu d'une balle. Grand-père disait que ce bonhomme-là avait sûrement inventé une demi-douzaine de mots différents pour chaque chose rien que pour en ternir le sens. Il disait qu'à cause de ça, les politiciens pouvaient rouler les gens et s'en sortir en prétendant ne pas avoir dit – ou avoir dit – telle ou telle autre chose. Grand-père a dit que ce foutu dictionnaire avait dû être bricolé par un politicien ou qu'il y en avait un derrière tout ça. Ce qui paraît raisonnable." (p.152)

"Les Indiens ne chassent ni ne pêchent jamais pour le sport mais pour se nourrir. Grand-père disait qu'il n'y a rien de plus stupide au monde que de s'en aller tuer quelque chose pour le sport. Il disait que tout ça c'était un coup des politiciens pour que les gens ne perdent pas la main et continuent à tuer entre les guerres." (p.177)

"Grand-père disait que l'Indien levait sa main ouverte en signe de paix, pour montrer qu'il n'était pas armé. Pour Grand-père, c'était logique, mais le reste du monde trouvait ça tordant. Grand-père disait que l'homme blanc faisait la même chose quand il serrait la main de quelqu'un, sauf qu'il était si faux-jeton qu'en secouant la main de celui qu'il appelait son ami, il essayait de faire tomber une arme de sa manche." (p.204)

"Mon anniversaire tombait en été et suivant la coutume cherokee l'été était donc ma saison. Comme ça, mon anniversaire ne durait pas un seul jour, mais tout un été. La coutume voulait que, pendant votre saison, on vous parle de l'endroit où vous étiez né ; des exploits de votre père et de l'amour que votre mère avait pour vous." (p.235-236)

"Grand-père disait que le pasteur et les diacres avaient mis le grappin sur la religion. Il disait que c'était eux qui déterminaient qui allait en enfer et qui n'y allait pas, si bien que si on n'ouvrait pas l’œil, on se retrouvait vite fait en train de se prosterner devant le pasteur et ses diacres." (p.240)

"Grand-mère m'a dit que c'était un cadeau de Willow John. C'est la façon dont les Indiens font leurs cadeaux. Ils ne font jamais de cadeaux pour rien et quand ils offrent quelque chose il y a toujours une raison. Ils vous laissent découvrir leur cadeau. On ne vous l'offrirait pas si vous ne le méritiez pas, il est donc stupide de remercier quelqu'un pour quelque chose que vous méritez, ou d'en faire tout un plat. Ce qui est raisonnable." (p.243)

"Grand-père disait qu'il valait beaucoup mieux apprendre aux gens à faire les choses plutôt que de les leur donner. Il disait que quand on apprenait à quelqu'un à faire les choses tout seul, il arrivait à se débrouiller ; en revanche, si on se contentait de lui donner ces choses sans rien lui apprendre, on passait sa vie à ne plus faire que ça. Grand-père disait que c'était lui rendre un mauvais service, car il se mettait à dépendre de vous et se trouvait dépouillé de sa force de caractère. Grand-père disait que certains préféraient donner sans arrêt parce que ça flattait leur vanité et leur donnait le sentiment d'être supérieurs à ceux qui recevaient leurs dons." (p.257-258)

"Quand tout un peuple se mettait à vivre dans la corruption, les politiciens comprenaient qu'ils pouvaient imposer leur volonté. Ils prenaient la place des gens corrompus et en un rien de temps vous aviez un dictateur." (p.268)